samedi 4 février 2012

Ken Loach, un témoin de notre temps



Article publié par Homero Vladimir Arellano

Dès ses débuts à la télévision, dans les années  1960, Kenneth Loach  renoue avec la grande tradition de l’école documentariste anglaise. A l’instar de  John Grierson, il met l’esthétique au service d’une éthique et lorsque les cinéastes du "Free cinéma" optent pour faire des productions internationales à gros budget, il profite de la liberté de création que lui laissent les structures de la BBC.  
Ken Loach affine son discours cinématographique en réalisant des œuvres engagées où il s’en prend aux institutions répressives, et devient par ses convictions l’ennemi déclaré du libéralisme sauvage que Margaret Thacher symbolisa jusqu’au cynisme.

Pour  Ken Loach , réussir un film engagé, c’est filmer la vie. 
Il faut pour cela placer la caméra dans des décors réels, s’entourer d’une équipe légère et utiliser des comédiens pas très connus ou des non professionnels. 

Dans son premier film, Poor Cow (1967), les techniques de télévision sont encore présentes, l’équilibre n’est pas encore atteint entre la spontanéité du reportage et la perfection technique de l’illusion de réalité.
Ken Loach n’est pas content du résultat de ce premier film mais Poor Cow se démarque avec bonheur des productions britanniques de l’époque subventionnées par des capitaux américains.

Réussir un film engagé, c’est aussi choisir des éléments de fiction profondément enracinés dans la réalité, comme dans son deuxième et merveilleux film, Kes (1969), dans lequel un enfant mal aimé se construit un bonheur fugitif en dressant un faucon. (L’exposé sur les rapaces qu’il présente en classe met à mal son image de cancre). Ou dans sa troisième œuvre  Family Life (1971) qui met en scène une adolescente mal dans sa peau qui sera poussée vers la folie par sa famille et la médecine qui veulent à tout prix la faire « rentrer dans le moule ».

Ken Loach  règle ses comptes avec un système qui condamne le petit peuple à la misère et à la détresse. Il ne met pas le moindre bémol dans ses convictions et s’attaque à l’univers carcéral dans  Poor Cow, à l’école dans Kes et à la psychiatrie dans Family Life
C’est une trilogie de la contestation, sur fond de faillite des valeurs familiales. 

En 1979, Loach se fait plaisir et réalise un film en costume pour jeune public, Black Jack, dont l’action se situe dans l’Angleterre préindustrielle, puis, en 1980, vient GameKeeper sur la vie quotidienne d’un garde forestier.

En 1981 avec Regards et sourires, il dénonce le chômage et l’errance quotidienne des jeunes à la recherche de repères…

La politique de Margaret Thacher irrite Ken Loach et en 1986 il sort Fatherland pour essayer de démystifier l’illusion de liberté sécrétée par la puissance de l’argent et la séduction des médias. Le film est un échec.

Quatre années plus tard, il tourne Hidden Agenda (1990), un thriller politique où le réalisateur décrit l’ambiance d’insécurité et la brutalité de l’armée anglaise dans la capitale irlandaise. Il y dévoile les manipulations et le complot ourdi par des dirigeants conservateurs pour déstabiliser les travaillistes avant les élections. Ce film polémique et très politisé, au style de narration trop démonstratif,  a été sujet à des controverses.

Mais Loach a rassuré ses fans avec les deux films suivants qui sont parmi ses meilleurs : Riff-Raff (1991), comédie sociale sur les ouvriers du bâtiment travaillant au  noir, et Raining Stones (1993), prix du jury à Cannes, qui fait une analyse sans concession des liens  entre chômage et violence. 

L'année suivante  sort Ladybird (1994), archétype du mélo qui dérange, Loach n'hésite pas à en rajouter pour filmer le destin pathétique d'une mère célibataire vivant d'aides sociales et dont les quatre enfants, issus de pères différents, ont été placés dans un foyer à la discipline quasi martiale. 

Avec Land and Freedom (1995), Loach revient ensuite à la fresque historique en filmant en flash back la vie d'un militant britannique anti-franquiste. 
Puis dans Carla's song (1996), il  relate la rencontre entre un chauffeur de bus écossais et une réfugiée nicaraguayenne. 

En 1998 avec My Name Is Joe, Loach raconte le quotidien d’un chômeur ex-alcoolique qui essaye de s’en sortir dans un quartier défavorisé de Glasgow, en montant une équipe de foot avec une bande paumés.

En 2000, Loach s’exile aux USA pour tourner Bread and Roses et dénoncer le sort des émigrés clandestins mexicains à Los Angeles.

De retour en Angleterre, il s’intéresse, avec The Navigators (2001), à la condition des cheminots après la libéralisation du système ferroviaire britannique. Dans ce film, comme dans Riff-Raff et Raining Stones, on dénote une touche d’humour inhabituelle chez Ken Loach.

Sweet Sixteen (2002) est le portrait d’un adolescent qui tente de sortir de la précarité en flirtant avec la délinquance  pour finir dans la violence. Le scénario, écrit par Paul Laverty, a reçu un prix à Cannes.

Just a kiss (2004) est l’histoire d’une belle rencontre amoureuse entre un Pakistanais et une Anglaise sur fond de clivages culturels et religieux.

Avec Le vent se lève (2006) il reçoit la palme d’or à Cannes. Dans ce film poignant, il démontre qu’il est juste de se battre pour un idéal mais sans en arriver à une lutte armée et fratricide.

Présenté et récompensé à Venise It’s a Free World (2007) parle du destin des travailleurs clandestins  et de leur exploitation par une femme qui les recrute et les manipule. Ce film est un constat implacable de l’exploitation des pauvres par les pauvres.
Un conte moral où Ken Loach ne juge pas son personnage principal mais le système qui développe l’égoïsme et donne des alibis pour commettre l’inadmissible.

En 2009 il présente à Cannes la comédie réjouissante Looking For Eric avec Eric Cantona.

Sa dernière œuvre à ce jour, Route Irish, est présentée à Cannes en 2010 mais passe presque inaperçue .Il s’agit d’un film engagé qui dénonce la privatisation de la guerre en Irak. 

Le cinéma de Ken Loach est le témoignage de l’engagement de toute une vie, un cinéma social politique par excellence. Loach sait rendre compte à travers la fiction, de la réalité de la société anglaise d’aujourd’hui.
Un cinéma de l’urgence où l’approche naturaliste des problèmes du monde est devenue sa marque de fabrique.

Projection de Kes de Ken Loach, jeudi 23 février à 20H au Cinéma Opéra

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