vendredi 10 février 2012

Kes de Ken Loach (1969)


Un homme en colère

Article publié par Tanguy Thévenot

Enfant vivant dans une ville minière, Billy Casper n’est pas de ceux qui sont nés avec une cuillère en argent dans la bouche.  Auteur de petits larcins, il s’accommode tant bien que mal - et même plutôt mal - d’un frère sadique, d’une mère absente et d’un système scolaire ayant tendance à le rejeter pour son indiscipline. 

L'environnement industriel dans lequel il tente d'évoluer, lourd et figé, est contrasté par quelques plans de nature que Loach, afin de souligner toute absence d’échappatoire, ne peut s’empêcher d’achever par une vue d’usine crachant ses fumées noires pendant que notre héros tente de s’évader momentanément dans l’univers de la bande-dessiné. 
Terribles images programmatrices du devenir de Billy Casper et, plus largement, de toute une frange de la population défendue par un Ken Loach au tout début de sa carrière, mais déjà animé par une rage inaliénable vouée entièrement à la défense des pauvres et des « sans grades » . 

« Kes » c’est le prénom que Billy Casper va donner à son petit crécelle qu’il s’entreprend de dresser seul. « Kes » c’est aussi cet extérieur souvent promis mais toujours refusé par un cadre étroit ou règnent la loi du plus fort et la bêtise humaine.  
Un air de liberté qui donnera lieu également à une reconnaissance de la part du système qui l’a toujours méprisé par le biais de son professeur d’anglais présenté par le metteur en scène comme l’un des seuls adultes digne de confiance car attentif à ce gamin à qui le monde ne donne pas le temps de grandir.

C’est avec cette poésie et cette rage propre à son œuvre, que Ken Loach nous invite à entrer dans le monde âpre et dur de ce film phare du nouveau cinéma anglais des années 1960.
Ce chef-d’oeuvre engagé à (re)-découvrir sera proposé par Strawberry Films Forever, Jeudi 23 février à 20h au cinéma Opéra.


Kes - Un film de Ken Loach - Grande-Bretagne - 1969
Ecrit par Barry Hines, Ken Loach et Tony Garnett, d’après le roman du premier, A Kestrel for a Knave
Avec David Bradley, Freddie Fletcher, Brian Glover

samedi 4 février 2012

Ken Loach, un témoin de notre temps



Article publié par Homero Vladimir Arellano

Dès ses débuts à la télévision, dans les années  1960, Kenneth Loach  renoue avec la grande tradition de l’école documentariste anglaise. A l’instar de  John Grierson, il met l’esthétique au service d’une éthique et lorsque les cinéastes du "Free cinéma" optent pour faire des productions internationales à gros budget, il profite de la liberté de création que lui laissent les structures de la BBC.  
Ken Loach affine son discours cinématographique en réalisant des œuvres engagées où il s’en prend aux institutions répressives, et devient par ses convictions l’ennemi déclaré du libéralisme sauvage que Margaret Thacher symbolisa jusqu’au cynisme.

Pour  Ken Loach , réussir un film engagé, c’est filmer la vie. 
Il faut pour cela placer la caméra dans des décors réels, s’entourer d’une équipe légère et utiliser des comédiens pas très connus ou des non professionnels. 

Dans son premier film, Poor Cow (1967), les techniques de télévision sont encore présentes, l’équilibre n’est pas encore atteint entre la spontanéité du reportage et la perfection technique de l’illusion de réalité.
Ken Loach n’est pas content du résultat de ce premier film mais Poor Cow se démarque avec bonheur des productions britanniques de l’époque subventionnées par des capitaux américains.

Réussir un film engagé, c’est aussi choisir des éléments de fiction profondément enracinés dans la réalité, comme dans son deuxième et merveilleux film, Kes (1969), dans lequel un enfant mal aimé se construit un bonheur fugitif en dressant un faucon. (L’exposé sur les rapaces qu’il présente en classe met à mal son image de cancre). Ou dans sa troisième œuvre  Family Life (1971) qui met en scène une adolescente mal dans sa peau qui sera poussée vers la folie par sa famille et la médecine qui veulent à tout prix la faire « rentrer dans le moule ».

Ken Loach  règle ses comptes avec un système qui condamne le petit peuple à la misère et à la détresse. Il ne met pas le moindre bémol dans ses convictions et s’attaque à l’univers carcéral dans  Poor Cow, à l’école dans Kes et à la psychiatrie dans Family Life
C’est une trilogie de la contestation, sur fond de faillite des valeurs familiales. 

En 1979, Loach se fait plaisir et réalise un film en costume pour jeune public, Black Jack, dont l’action se situe dans l’Angleterre préindustrielle, puis, en 1980, vient GameKeeper sur la vie quotidienne d’un garde forestier.

En 1981 avec Regards et sourires, il dénonce le chômage et l’errance quotidienne des jeunes à la recherche de repères…

La politique de Margaret Thacher irrite Ken Loach et en 1986 il sort Fatherland pour essayer de démystifier l’illusion de liberté sécrétée par la puissance de l’argent et la séduction des médias. Le film est un échec.

Quatre années plus tard, il tourne Hidden Agenda (1990), un thriller politique où le réalisateur décrit l’ambiance d’insécurité et la brutalité de l’armée anglaise dans la capitale irlandaise. Il y dévoile les manipulations et le complot ourdi par des dirigeants conservateurs pour déstabiliser les travaillistes avant les élections. Ce film polémique et très politisé, au style de narration trop démonstratif,  a été sujet à des controverses.

Mais Loach a rassuré ses fans avec les deux films suivants qui sont parmi ses meilleurs : Riff-Raff (1991), comédie sociale sur les ouvriers du bâtiment travaillant au  noir, et Raining Stones (1993), prix du jury à Cannes, qui fait une analyse sans concession des liens  entre chômage et violence. 

L'année suivante  sort Ladybird (1994), archétype du mélo qui dérange, Loach n'hésite pas à en rajouter pour filmer le destin pathétique d'une mère célibataire vivant d'aides sociales et dont les quatre enfants, issus de pères différents, ont été placés dans un foyer à la discipline quasi martiale. 

Avec Land and Freedom (1995), Loach revient ensuite à la fresque historique en filmant en flash back la vie d'un militant britannique anti-franquiste. 
Puis dans Carla's song (1996), il  relate la rencontre entre un chauffeur de bus écossais et une réfugiée nicaraguayenne. 

En 1998 avec My Name Is Joe, Loach raconte le quotidien d’un chômeur ex-alcoolique qui essaye de s’en sortir dans un quartier défavorisé de Glasgow, en montant une équipe de foot avec une bande paumés.

En 2000, Loach s’exile aux USA pour tourner Bread and Roses et dénoncer le sort des émigrés clandestins mexicains à Los Angeles.

De retour en Angleterre, il s’intéresse, avec The Navigators (2001), à la condition des cheminots après la libéralisation du système ferroviaire britannique. Dans ce film, comme dans Riff-Raff et Raining Stones, on dénote une touche d’humour inhabituelle chez Ken Loach.

Sweet Sixteen (2002) est le portrait d’un adolescent qui tente de sortir de la précarité en flirtant avec la délinquance  pour finir dans la violence. Le scénario, écrit par Paul Laverty, a reçu un prix à Cannes.

Just a kiss (2004) est l’histoire d’une belle rencontre amoureuse entre un Pakistanais et une Anglaise sur fond de clivages culturels et religieux.

Avec Le vent se lève (2006) il reçoit la palme d’or à Cannes. Dans ce film poignant, il démontre qu’il est juste de se battre pour un idéal mais sans en arriver à une lutte armée et fratricide.

Présenté et récompensé à Venise It’s a Free World (2007) parle du destin des travailleurs clandestins  et de leur exploitation par une femme qui les recrute et les manipule. Ce film est un constat implacable de l’exploitation des pauvres par les pauvres.
Un conte moral où Ken Loach ne juge pas son personnage principal mais le système qui développe l’égoïsme et donne des alibis pour commettre l’inadmissible.

En 2009 il présente à Cannes la comédie réjouissante Looking For Eric avec Eric Cantona.

Sa dernière œuvre à ce jour, Route Irish, est présentée à Cannes en 2010 mais passe presque inaperçue .Il s’agit d’un film engagé qui dénonce la privatisation de la guerre en Irak. 

Le cinéma de Ken Loach est le témoignage de l’engagement de toute une vie, un cinéma social politique par excellence. Loach sait rendre compte à travers la fiction, de la réalité de la société anglaise d’aujourd’hui.
Un cinéma de l’urgence où l’approche naturaliste des problèmes du monde est devenue sa marque de fabrique.

Projection de Kes de Ken Loach, jeudi 23 février à 20H au Cinéma Opéra

jeudi 3 novembre 2011

Michael Powell et Emeric Pressburger

Article publié par Homero Vladimir Arellano
Michael Powell est encore aujourd’hui un de cinéastes les plus méconnus de l’histoire du cinéma. Son nom demeure surtout lié  au film  Le Voyeur, œuvre qui divisa la critique et le public. D’aucuns, notamment en France, louèrent son audace dans l’investigation de la morbidité sexuelle et en filigrane sa réflexion sur la création cinématographique. La critique anglaise fut beaucoup plus réticente.
Powell était un cinéphile cultivé. Il débuta dans le cinéma  en tant que scénariste et monteur, puis en 1930, avec l’arrivée du parlant, il tourna de petits bouts d’essai pour des producteurs anglais. Ces bouts d’essai devinrent de petits films, les « Quota Quickies ».
Entre 1931 et 1937, Powell en tourna vingt-trois.
Il réalisa son premier vrai film en 1937 : The Edge of The world. La démarche artistique de Michael Powell, très moderne et synthétique n'est jamais analytique. Son éclectisme vient de sa conception relativiste du monde.
C’est en 1939 que Michael Powell  commença sa collaboration avec Emeric PressBurger pour le film The Spy in Black. Cette association sera une symbiose totale à partir de 1943, lors de la fondation de leur maison de production: « The Archers ».  Les génériques porteront désormais la mention « Réalisation, scénario et production : Michael Powell & Emeric Pressburger ».
Le caractère hétéroclite de leur œuvre vient très probablement de son origine composite.
Les films sont écrits par Pressburger et mis en scène et dirigés par Powell.
L’intérêt de leur œuvre aujourd’hui est la relecture qu’elle propose de toute une page de l’histoire de l’art et de ses enjeux modernistes.
Des films pseudo réalistes des débuts (49e Parallèle, Un de nos avions n’est pas rentré, Colonel Blimp) au réalisme  des dernières œuvres (They‘re a weird Mob) en passant par le surréalisme (Une question de Vie ou de mort) voire un recours à l’épure visuelle (Le narcisse noir) ou à l’abstraction (Les contes d’Hoffman). Tel est le parcours exemplaire de la maturation de ces deux esthètes du septième art, dont l’un travaillait sur le sujet et l’autre sur le langage.
À partir de 1945 leur œuvre commune commença à s’éloigner du réel, avec le film I know where I’am going. L’histoire en est simple : une jeune femme quitte Londres pour se rendre dans une petite île de l’archipel mais une tempête la contraint à suspendre son voyage. Au sein de la petite communauté de pêcheurs dans laquelle elle échoue, elle remet en cause toute sa conception de l’existence… Pour eux, ce ne sont plus les êtres en tant qu’individus qui comptent mais les rapports entre leurs fantasmes et leurs névroses respectifs.
Dans Une question de vie ou de mort (1946), Powell développe jusqu’au bout l’argument surréaliste de l’amour fou si cher à Breton. Une belle mise en scène ou il joue avec les couleurs et l’image et utilise des plans d’une étourdissante modernité.
En 1947, le duo donne naissance à un autre chef-d’œuvre, Le narcisse noir, grâce auquel il nous offre une belle leçon de cinéma avec photos et cadrages très travaillés et une atmosphère très poétique et sereine.
En 1948, le tandem réalise son plus grand succès public : Les chaussons rouges d’après un conte d’Andersen.  Powell avoua ne pas avoir eu de connaissance précise en matière de chorégraphie en commençant à tourner Les chaussons rouges, pas plus qu’il n’en avait de l’opéra en faisant Les contes d’Hoffmann ; cela lui évita de tomber dans l’académisme…
Ces deux films marquent l’apogée formaliste du cinéma de Powell.
Après avoir réalisé avec Pressburger quelques films médiocres dans les années cinquante, Powell nous livra en 1960, son dernier chef-d’œuvre : Le voyeur, dans lequel il abandonne le formalisme pur de ses films précédents pour réaliser une œuvre surchargée et codée. Ce film est une réflexion sur son art.
« Je me sentais très proche du héros qui est un metteur en scène « absolu », quelqu’un qui aborde la vie comme un metteur en scène qui en est conscient et en souffre. C’est un technicien de l’émotion » déclara-t-il dans un entretien dans la revue Midi/ Minuit Fantastique.
Il réalisa en 1968 Age of Consent, film centré sur les rapports ambigus entre un peintre et son jeune modèle féminin.
L’œuvre de Powell et Pressburger  est le fruit de deux créateurs et expérimentateurs des plus originaux. Leur cinéma est un creuset d'où naquirent des œuvres inoubliables qui révolutionnèrent le septième art.

mercredi 2 novembre 2011

Une question de vie ou de mort (1946)

  
Article publié par Tanguy Thévenot
« Donnez moi mon écrin de paix,
  Mon bâton de marche,
  Ma besace d'allégresse,
  Ma gourde de salut,
  Ma robe de gloire,
  Et je partirais en pèlerinage »


Walter Raleigh
L'amour plus fort que la mort
Mort au champs d'honneur, l'aviateur britannique Peter Carter (Le gentleman David Niven) à semble t-il raté son passage dans l'au delà. Une erreur administrative inacceptable pour les bureaux de Dieu qui envoient, séance tenante, un envoyé céleste français remettre les pendules à l'heure. Mais Carter, amoureux de la belle américaine June (Kim Hunter, future Stella Kowalsky de Un Tramway nommé Désir d'Elia Kazan) se rebelle contre son destin et cherche, coûte que coûte, à gagner du temps afin de vivre son idylle .
Nouvelle collaboration entre Michael Powell et Emeric Pressburger sous l'indépendante égide de "The Archers", Une Question de Vie ou de Mort  transcende son statut de simple commande d'un ministère britannique, voulant réconcilier ses soldats avec l'armée américaine, pour toucher au sublime et à l'universalité d'une magnifique histoire d'amour soulignée par la superbe photographie d'un Jack Cardiff au sommet de son art.
Le film brise les idées reçues sur la représentation de l'au-delà  : le paradis n'est que lourdeurs administratives, un monde mécanisé symbolisé par un noir et blanc en contraste avec le technicolor flamboyant et présent dans le monde des humains représenté tel un Eden sur terre appuyant la pureté d'un amour sans égal.

Cette beauté visuelle se retrouvera chez lui dans de futures collaborations avec le duo Powell/Pressburger comme  Le narcisse noir  ou  Les chaussons rouges.
C'est ce chef d'oeuvre qui vous sera proposé par Strawberry Films Forever, jeudi 17 novembre à 20h au Cinéma Opéra.

Une Question de vie ou de mort  (A matter of life and death).
Produit, écrit et réalisé par : Micheal Powell. Emmeric Pressburger.
Musique : Allan Gray
Photographie : Jack Cardiff
Directeur artistique : Alfred Junge

dimanche 9 octobre 2011

Neil Jordan au delà des apparences

Article publié par Homero Vladimir Arellano 
Neil Jordan est né à County Sligo (Irlande) le 25 février 1950.  
Il  crée L’Irish Writters Cooperative en 1974 et écrit des recueils de nouvelles et des romans, avant de débuter au cinéma comme consultant à la création du magnifique film de John Boorman, Excalibur.
Il est apprécié par Boorman qui lui commande un documentaire sur Excalibur et l’aide à réaliser sa première oeuvre en 1983, Angel, un thriller sur la révolution irlandaise qui obtient le London Evening Award du meilleur réalisateur et contribue au renouveau du cinéma britannique au début des années 80. 
Visiblement influencé par les travaux de Bruno Bettelheim et la psychanalyse et par son goût pour le cinéma fantastique, il réalise La Compagnie des Loups en 1984 où il nous propose un retour au sens profond des contes, avec un symbolisme sexuel très marqué qui joue plus sur la sensualité que sur l’érotisme, dans le but de tracer un itinéraire initiatique.
En 1986, il réalise Mona Lisa, un  thriller admirablement joué par Michael Caine et Bob Hoskins, qui obtient le prix d’interprétation à Cannes. Mona Lisa nous plonge dans l’atmosphère d’un Londres mystérieux, lieu de prédilection d’une pègre moderne qui a su s’adapter aux changements de mœurs de la société. Ce film est une vision pleine d’acuité des rapports maître/esclave. Neil Jordan nous montre que toute domination est difficilement supportable, dès lors que s’entremêlent passion et déchirements. Puis, par un savant dosage d’humour et de dramatisation, il  fait évoluer son récit vers la farce et l’humour noir.
Le réalisateur tente la comédie avec High Spirits (1988), une coproduction anglo-américaine avec Peter O’Toole. Mais ses fantômes errants dans les châteaux délabrés de la vieille Ecosse et de L’Irlande  utilisés à la seule fin d’attirer les touristes ne rencontrent pas le succès, en dépit des moyens mis en œuvre et de la qualité du film. Il réalise ensuite une autre comédie assez réussie : Nous ne sommes pas des anges (1989) avec Robert De Niro et Sean Penn qui ne reçoit pas non plus l’accueil escompté. 
De retour en Grande Bretagne, il réalise The Miracle (1991) (L’étrangère), un film qui balance constamment entre la comédie et la tragédie, entre le rêve et la réalité, entre l’étude des mœurs et la fable. Neil Jordan réussit un film où l’ironie et la demi teinte font bon ménage pour raconter les désarrois d’une adolescente qui se cherche. Cette œuvre possède un charme singulier. 
Neil Jordan  puise dans ses racines gaéliques pour réaliser The Crying Game (1992) qui traite du problème irlandais et s’avère être une histoire d’amour complexe et baroque, mais aussi une réflexion sur l’identité politique et existentielle des protagonistes et sur la fragilité des apparences. 
L’atmosphère mystérieuse du film et son étonnant humour du désespoir lui valent l’Oscar du meilleur scénario. 
Neil Jordan réitère l’aventure hollywoodienne avec un des seuls films dont il n'écrit pas le scénario, Entretien avec un vampire (1994), adaptation du roman culte d'Anne Rice, où il renoue avec le fantastique et s'impose parmi les plus grands réalisateurs de Hollywood. 
Dans ce film il dirige un casting de rêve avec Tom Cruise, Brad Pitt, Antonio Banderas et Christian Slater. 
Avec le succès mondial d’Entretien avec un vampire, Neil Jordan persuade ses producteurs hollywoodiens de financer la biographie d’un révolutionnaire irlandais du début du siècle et connu seulement de son pays : Michael Collins (1890-1922). Le film  révèle un personnage au destin unique. « Un meneur d’hommes et au bout du compte, le responsable du compromis qui a mené à la partition de L’Irlande » raconte Jordan dans un entretien au cours duquel il ajoute : « Michael Collins porte en lui toutes les contradictions de la question anglo-irlandaise. Les conservateurs britanniques pensent qu'il a détruit l'Empire. Les nationalistes irlandais le jugent responsables de la partition : pour l'IRA, c'est un traître. Pour moi, c'est l'homme qui a fait le pays dans lequel je suis né, avec tout ce que cela comporte de courage, de violence et de sang. » Le film Michael Collins (1996) a obtenu le Lion d’or à Venise et a bénéficié de l’interprétation à la fois puissante et subtile de Liam Neeson. 
En 1997, il adapte le roman de son compatriote Patrick MacCabe : "The Butcher boy", une chronique sur l'enfance foisonnante et colorée, avec une Sinead O'Connor parfaite dans le rôle de la Sainte Vierge.
S'il n'abandonne pas définitivement le style fantastique de ses débuts, Neil Jordan se dirige peu à peu vers le polar et les thrillers psychologiques, en signant Prémonitions en 1999 avec Annette Bening, victime de visions terrifiantes et des machinations d'un serial killer. 
En 2003, Il écrit, réalise et produit L'Homme de la Riviera, un remake du film de Jean-Pierre Melville (Bob le Flambeur). 
En 2005, il adapte une nouvelle fois Patrick MacCabe et son best-seller Breakfast on Pluto, l’histoire d’un jeune travesti en quête d’amour dans l'Irlande ensanglantée des années 70. Un film entre mélo décalé et comédie étincelante, avec une BO vintage qui lui confère un ton enthousiasmant. 
Il réalise en 2010 le drame fantastique Ondine, attribuant à Colin Farrell le rôle d'un pêcheur irlandais éperdument amoureux d'une jeune femme dont il est persuadé qu'il s'agit d'une sirène. 
En 2011 il entame la réalisation de la fresque Borgia pour la télévision avec Jeremy Irons et Christina Ricci.
Filmographie
1982 : Angel
1984 : La Compagnie des loups (The Company of Wolves)
1986 : Mona Lisa
1988 : High Spirits
1989 : Nous ne sommes pas des anges (We're No Angels)
1991 : L'Étrangère (The Miracle)
1992 : The Crying Game
1994 : Entretien avec un vampire (Interview with the Vampire: The Vampire Chronicles)
1996 : Michael Collins
1997 : Le Garçon boucher (The Butcher Boy)
1999 : Prémonitions (In Dreams)
1999 : La Fin d'une liaison (The End of the Affair)
2002 : L'Homme de la riviera (The Good Thief)
2005 : Breakfast on Pluto
2007 : À Vif (The Brave One)
2009 : Ondine 
2011 : The Borgia (film TV)

mercredi 5 octobre 2011

Breakfast on Pluto de Neil Jordan (2006)


Article publié par Tanguy Thévenot
Alice au pays des horreurs.

C'est dans une Irlande déchirée et divisée, que Patrick « Kitten » Brady, travesti haut en couleur (Cillian Murphy totalement transcendé), fils illégitime d'un curé (Liam Neeson) et d'une mère inconnue censée ressembler à Mitzy Gaynor, fera son parcours initiatique au milieu d'une humanité souillée par sa bêtise et par sa propension à faire le mal.

Avec pour seuls bagages son innocence et sa pureté, « Kitten » décide de partir à la quête de sa mère et du grand amour dans un périple qui le fera traverser l'Irlande et l'Angleterre des années 1970.

 
C'est à un voyage au bout de l'enfer que nous invite Neil Jordan, un conte macabre et lucide sur la nature humaine, faisant de son personnage un héros de conte de fée ou plutôt d'un conte horrifique. Car ce voyage à la recherche de la vérité va très vite se transformer pour Kitten en cauchemar. Au lieu de trouver la paix, Kitten ne cessera au cours de son périple, d'affronter des épreuves terribles dans une nation ensanglantée qui ne souhaitera en aucun cas faire une place à cet être mû par l'amour de l'autre, par la joie de vivre et la pureté.

Muse d'un rocker, assistant d'un magicien, prostitué ou encore performeur dans un peep-show, il sera également confronté à des indépendantistes de l'IRA et à un tueur sadique incarné avec délice par le chanteur Bryan Ferry. 

Psychédélique, glam rock et totalement singulier, Breakfast on Pluto apparaît comme l'oeuvre somme d'un Neil Jordan au sommet de son art. Combinant l'aspect conte de fée de La Compagnie des Loups aux questionnements sur le malaise d'une nation, mais aussi à la complexité de l'identité sexuelle de The Crying Game, Breakfast on Pluto détonne dans le paysage cinématographique par la pureté de son intention. Neil Jordan ose aborder des sujets en apparence antinomiques, par une mise en scène fluide et sophistiquée, retranscrivant à merveille la psyché d'un « Kitten » attachant et fascinant, véritable pile électrique à la bonne humeur communicative.

Ce chef d'œuvre à redécouvrir sera proposé par Strawberry Films Forever, mardi 18 octobre à 20h au Cinéma Opéra.

Breakfast on Pluto - un film de Neil Jordan - Irlande - 2005
Écrit par Neil Jordan et Patrick MacCabe, d'après son roman.
Avec Cillian Murphy, Liam Neeson, Stephen Rea, Brendan Gleeson.